ORCHESTRE DE JAZZ A PHILIPPEVILLE

I - HISTORIQUE

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Le NEW ORLEAN’S BAND Philippevillois est né Rue des Aurès (prolongée au niveau de la Rue des Frères Pons (ex-rue des Escaliers ) à partir de 1952. Déjà en 1943, pendant la 2nde Guerre Mondiale, un pianiste Noir Américain en uniforme improvise brillamment. Il a fait une incursion chez Madame Anna ANDRE née BORRA (Maman de Georges ANDRE), Rue des Aurès, notre voisine immédiate et chanteuse lyrique de renom. Je suis subjugué par le Boogie-Woogie endiablé, et par l’image forte d’un piano « dénudé » pour libérer les sons, cet instant sans précédent marquera à jamais l’influence du jazz sur ma culture musicale. Plus rien n’arrêtera mon engouement pour cette musique qui a bouleversé le XX° siècle et nous-mêmes. Elle répondait à une tendance peu commune en se marginalisant de la musique de bal. De plus, la culture latine n’admettait pas ce genre d’intrus dans son répertoire. C’est donc à partir de ce critère, que l’orchestre aura une vocation essentiellement Estudiantine. Mais avant d’atteindre l’effectif idéal avec cuivres et instruments rythmiques voyons l’évolution du groupe apparemment atypique. 

Ne quittons pas la Rue qui a vu naître les BLANCHARD, artistes de cinéma des années 30 à 50, pour nous arrêter à deux pas de leur ancien domicile chez Giraud DI COSTANZO. Son balcon surplombe la cour de l’Ecole Anatole France (dite « Cianfarani »). Il joue du saxo alto. Vu son âge, l’instrument est trop grand pour lui. Piqué par le Virus, il va délaisser l’alto pour le Soprano. Nous y voilà. Cet instrument, le « diabulus in musica » de l’orchestre symphonique a été abandonné pour son timbre qui donne l’impression de sonner faux, il va trouver sa notoriété grâce à Sydney Bechet. Giraud va s’en imprégner. Son vibrato, sera tel qu’on le confondra avec celui du virtuose Sydney, qui, lors de son passage dans notre cité, lui dédicacera l’étui avec félicitations.

Giraud DI COSTANZO au Soprano, Albert DI COSTANZO, mon frère, au drum et Gérard DI COSTANZO au piano forment le socle du futur orchestre. On pourrait le baptiser «  le trio Di Coss ». Ma villa permet de disposer d’espaces suffisants pour procéder à des «  élucubrations de jazzmen ». Le trio se cherche. L’accord parfait est vite trouvé cimenté par notre complicité confraternelle. Giraud dont le lien de parenté est éloigné mais son domicile proche du nôtre, impose le style et le répertoire très en vogue à Paris, ceux de Béchet, ceux qui faisaient voler en éclats les sièges dans les salles de concert au cours des années 50. Albert s’en donne à cœur joie sur sa batterie, son rôle est de chauffer la salle. Il s’inspire des maîtres comme S.Catlet, Cozy Cole…et Gérard, passionné de jazz, se contente d’accompagner et de s’illustrer dans le Boogie, style pianistique par excellence, celui que l’Américain a laissé lors de son passage.

Les études classiques avec Madame BRAKA, brillante pianiste originaire de Tourcoing et diplômée du Conservatoire de Paris, m’ont donné des bases musicales que j’apprécie encore : elles influenceront le Jazz-Band. La nordiste habite elle aussi Rue des Aurès…décidément! Me voilà donc désigné, en 1955 par le président de la Société Philharmonique Mr. COUTELLE pour assurer les cours à l’Institut Musical. En même temps se créent des ateliers de théâtre, de chorégraphie, de conférences musicales… le terrain est favorable pour permettre à l’orchestre naissant de trouver les éléments manquants. Dès lors, le trio va puiser dans le creuset de la Philharmo . Avec Gabriel TEUMA à la trompette, Claude SMITH au trombone et Jean-Pierre NOÏQUE (+1982) à la contrebasse, le sextette est formé, s’y greffera ensuite Francis RUOPOLI au saxo alto, au don d’animateur. Nous disposons de la scène, Rue Gounod. Ce qui nous unit tous c’est que nous partageons la même affinité : le swing. Les orchestres dits « typiques » satisfont les adeptes du bal avec les danses sud-américaines, nous allons préférer le jazz. Pour l’adolescent tout ce qui le marginalise lui convient, nous trouvons en commun les mêmes dispositions. Elles correspondent à l’esprit du lycéen. Et dans une certaine mesure la part réservée à l’improvisation paraît plus attrayante parce que l’on échappe aux contraintes. Nous conserverons cette liberté d’interprétation.

II - STYLE ET GENRES

Le style a évolué avec le temps. Initialement, nous étions entraînés par Giraud, conditionné par Béchet, il se comportait en leader comme son maître américain. C’est donc le style New Orleans qui dominait. Mais, l’attrait du Jazz Moderne commence à se substituer au premier. Nous délaisserons progressivement la musique aux structures et harmonies faciles pour nous attaquer à celles plus élaborées de Duke Ellington. L’écoute de Th. Monk nous écarte plus encore du répertoire initial. Au début, nous ne possédions pas de partitions, tout se réglait à la « feuille », c’est-à-dire à l’oreille; d’ailleurs, cette méthode est vivement conseillée par les Maîtres du Jazz, car il faut arriver à penser jazz. L’influence heureuse de deux copains va nous faire passer de la musique consonante à une autre plus subtile, plus complexe : il s’agit de Gabriel TEUMA qui s’inspire de Miles Davis et de Georges NOÏQUE qui se ressource dans les enregistrements des Jazz Messengers, du Moderne Jazz Quartette. Aujourd’hui, la pléthore de partitions a contribué à disposer d’un répertoire très éclectique . Depuis les retrouvailles de 1981, à Fréjus, avec Giraud, Albert, Gérard, Gabriel et Georges, nous sommes passés par tous les genres. Qu’importe le calice pourvu qu’on ait l’ivresse…Sous l’effet de l’élixir, un bon vin du Roussillon ou d’ailleurs, le groupe n’a cessé de carburer, avec un brin de nostalgie de notre ville natale.

Bref, après les thèmes de Bechet, nous passerons au Style Dixiland, sonorités proches de nos harmonies municipales avec des rythmes syncopés inhérents au jazz. Nous nous en inspirons grâce à l’écoute des disques . Historiquement, la Nouvelle Orléans ayant été Française, nous retrouvons quelque peu avec notre formation NEW ORLEAN’S BAND les références sonores de nos ascendants qui affectionnaient le Pas Redoublé ou Marches. A Philippeville, Le Gospel, le Negro Spiritual remplissent aussi nos soirées entre copains. Subrepticement et par nécessité d’évoluer, le Jazz Moderne va nous enrichir par adoption de sonorités plus variées. Le répertoire ainsi élargi permet de swinguer 3 jours et 3 nuits presque en continu, chaque année, depuis nos retrouvailles dans le Sud de la France.

III - PRODUCTIONS EN PUBLIC

Nous jouions de préférence pour nous-mêmes ce qui nous donnait de grandes satisfactions car le swing libère les tensions; de plus, notre amitié s’est vue consolidée. S’inspirant des caves de St-Germain-des-Prés, l’orchestre animera quelques « Surboums » d’étudiants et en particulier leur bal de fin d'année scolaire. Puis, en 1958, sur le Podium de la Foire Exposition,  il distillera des Standards tels que « Petite Fleur » , plein de lyrisme ou bien « Royal Garden Blues », thème qui a déchaîné la jeunesse.

Mais la prestation la plus importante a eu lieu en Décembre 1959 au Théâtre Municipal. Avec d’autres formations, au profit des victimes du barrage de Malpasset de Fréjus, l’orchestre a assuré l’ouverture de la soirée à laquelle participait également l’ASCP (Association Sportive Catholique Philippevilloise), je n’y étais pas en raison de l’armée. Le lever de rideau a été chaud m’a-t-on rapporté!

En 1960, l’orchestre avec un effectif réduit au trio (Georges NOÏQUE à la contrebasse, Albert à la batterie et Gérard au piano) accompagne Jocelyne ALMANZA sélectionnée au radio crochet. Le groupe s’est produit aussi lors des mini spectacles organisés à la Philharmo ainsi qu’en ouverture au théâtre dans le cadre des activités JMF (Jeunesse musicale de France). On y a intégré le jazz au club artistique à vocation multidisciplinaire. De plus, des soirées privées (communions, mariages) ont été animées par l’orchestre qui aura des difficultés pour conserver Claude SCHMIDT le tromboniste, muté à Bougie. Ajoutons que les membres ont l’âge requis pour le service militaire. L’orchestre survivra en faisant appel aux remplaçants qui s’intègreront vite. Le couvre-feu nous forçait à rester cloîtrer ; c’est donc Rue des Aurès à la villa que l’équipe a survécu.

IV - LES MUSICIENS SUCCESSIFS

Chaque fois que l’un de nous était appelé sous les drapeaux, quelqu’un d’autre assurait la continuité. Je les cite selon les instruments.

1°) Les pianistes:

  • 1957 : Georges ANDRE, fils de la chanteuse renommée, possède un piano, celui sur lequel l’Américain a interprété un Boogie endiablé 14 ans avant. Auparavant, Il ne s’était pas beaucoup exprimé au clavier. En trois mois, il viendra en voisin étudier la technique des accords. Dans un délai record, il va être à même de se produire en public pour me remplacer. Chapeau! Qui dit mieux? Je pense que c’est la dynamique du groupe qui l’a incité à s’investir ainsi.
     
  • Jean CENATIEMPO, si je lui ai donné des cours de musique classique pour le déchiffrage, son oreille parfaitement formée au jazz m’a surpris. Il possédait des combinaisons d’accords qui, à l’époque, surpassaient les miennes trop esclaves des règles classiques.
     
  • Depuis le début et jusqu'à ce jour, présent dans ce style de musique : Gérard DI COSTANZO,  votre  serviteur

 

2°) Les batteurs:

  • Le tout premier fut donc Albert, mon frère, il est toujours à son poste. En son absence, c’est Guy RAMOS (+1974) d’El Arrouch qui assure le soutien rythmique.

3°) Les bassistes:

  • Ce sont les frères NOÏQUE, eux seuls qui joueront sur cet incomparable instrument soit en pizzicato, soit à l’archet. Le premier fut Jean-Pierre(+1982) puis Georges qui accueille chaque été le quatuor à son domicile de Bassan (34).

4°) Les irremplaçables:

  • « perdus de vue ». Francis RUOPOLI au saxo alto et Claude SCHMIDT au trombone.
     
  • « le toujours en vue… » et combien opérationnel : Gabriel TEUMA avec son éternelle jeunesse de caractère et son sens aigu de l’improvisation libre autant pour le chant et que pour la trompette. Il possède une imagination débordante.
     
  • « le toujours en vue… » mais plus opérationnel dans l’orchestre par l’éloignement, Giraud DI COSTANZO qui a fait un travail extraordinaire d’initiation musicale dans les écoles à Lille depuis des années.

V - CONCLUSION ET REFLEXIONS

Par définition, le Jazz est une forme musicale où l’on peut faire ce que l’on veut, comme l’on veut mais PAS TOUT ce que l’on veut. Bref, c’est une musique où le swing doit être constamment à l’esprit. Il passe d’abord par la culture de l’oreille. Mais la séquence d’improvisation demeure essentielle. Or, l’expérience acquise auprès des Conservateurs qui détiennent les Conservatoires me fait dire que les élèves de ces établissements n’accèdent pas souvent à cette ouverture dont nous disposons par l’improvisation. Tout concourt pour provoquer des blocages, seuls les doués et les surdoués s’en sortent. Quelques timides tentatives sont lancées par exemple la méthode Orff adoptée dans les classes d’initiation. C’est dommage. Les Grands Maîtres qui nous ont légué des chefs-d’œuvre pratiquaient l’improvisation couramment, en témoignent J.S.Bach, par les Préludes et Fugues, les Toccatas et Fugues…Les premières formes semi improvisées annonçaient une autre plus rigoureuse, la Fugue. On s’exprimait sur le même matériau sonore. N’est-ce point comparable au Jazz où l’on s’inspire des harmonies du thème, la grille est imposée, non l’interprétation.

VI - RETENTISSEMENT INATTENDU

(paragraphe exclusivement réservé aux pédagogues)

Suivant le même processus, actuellement dans les épreuves de Français au Bac, ne dispose-t-on pas de la possibilité de rédiger un Texte d’Invention sur le corpus? Je serais curieux de connaître les statistiques nationales pour établir une comparaison des fréquences entre le Commentaire de texte, la Dissertation et l’Invention. A ma connaissance, pour cette dernière, maints professeurs de français, dissuadent leurs élèves. Ils ont raison parce qu’il faut posséder un esprit inventif qui fait souvent défaut; on jette le discrédit sur la production écrite ou sur le langage sans offrir à l’individu, au cours du parcours scolaire, un champ d’expression qui l’y prépare. Certes, sans rigueur, l’esprit livré à une totale liberté plafonne de la même manière que l’exagération des contraintes finit par nous paralyser. Rien d’étonnant si certains ados ont trop de difficultés pour rédiger. Il existe plusieurs recettes pour rendre l’esprit fécond. Au cours des rencontres pédagogiques, les animateurs en présentaient quelques unes rarement appliquées. De mon côté, j’ai cité les richesses que fait naître la pratique du Jazz. Mon argumentation est demeurée sans succès parce qu’il faut être praticien pour en percevoir toutes les subtilités. Le Jazz a le pouvoir de développer les facultés chères à notre épanouissement, il possède plusieurs vertus; créativité, socialisation, mais en plus comme tout Art, il touche notre sensibilité. N’est-ce point cette musique qui a dynamisé la Chanson Française?  Nous pouvons  glorifier Trenet et Brassens pour en être les illustres représentants. Quand Boris Vian improvise à la trompette, ne puise-t-il pas aussi ses vers dans les arabesques syncopées? Musiciens à vos instruments et que ça swingue ! Vous ne serez pas déçus d’adopter le Jazz comme Art Libérateur par excellence. Sinon contentez-vous de l’écouter… A défaut   (voir)

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Avril 2006